La transition numérique : quelles tendances en France ?
Il suffit de regarder les sondages ou les infographies qui sortent sur le net tous les jours : la numérisation, le digital et les applications permettent l’arrivée de nouveaux acteurs qui viennent perturber les modèles économiques existants, sans même parler de nos propres représentations. Certaines lois, comme les lois Macron, visent à aider les entreprises à entrer dans cette ère numérique, qu’il s’agisse de la modernisation des appareils de production ou la mise en place de nouveaux produits. Mais si AirBnB, Uber, Deliveroo et consors ont chamboulé le paysage économique mondial, si de nouvelles technologies permettent de nouveaux services aux usagers, qu’en est-il vraiment des entreprises françaises sur cet échiquier ?
Entretien avec Olivier Laborde, auteur de « Innover ou disparaître - le Lab pour remettre l’innovation au cœur de l’entreprise » (Dunod).
OCSI - Quel est le stade de maturité des entreprises françaises vis-à-vis du numérique ?
O. L - Lorsqu’on interroge les chefs d’entreprise français, la transition numérique fait partie des grands sujets d’inquiétude, juste avant l’arrivée de nouveaux business models, et si certaines commencent à franchir le pas, je ne pense pas qu’elles soient totalement prêtes. En effet, la transformation numérique doit être globale, or certaines entreprises ont tendance à confondre finalité et moyens d’une part, et à se concentrer seulement sur la relation client d’autre part. Alors que le numérique tout comme les startups bousculent le business models, la manière de faire et la manière d’être des entreprises.
OCSI – Quels sont les autres axes de la transition numérique ?
O.L. - Selon moi, la transition numérique dans une entreprise doit être abordée sous trois angles : la relation client, certes, mais aussi les process internes et l’aspect humain. Or trop souvent les entreprises s’en tiennent à la relation client, en développant une application mobile, en créant du contenu pour les réseaux sociaux voire en embauchant un CDO (Chief Digital Officer). C’est pour ça que je parle de moyens et non de finalité. Sur l’axe de la relation client, l’entreprise doit travailler l’expérience client en devenant notamment omni-canal. Mais ce Graal de l’UX reste à définir et, surtout, à atteindre. Il nécessite d’allier le meilleur de l’humain et du digital. Néanmoins ce n’est pas suffisant, pour une transformation globale elle doit également engager ses efforts sur les axes process internes et humain.
OCSI - En parlant d’humain, vous l’avez évoqué comme axe primordial à prendre en compte
O.L. – Tout à fait ! Effectuer une transition culturelle, c’est aller au-delà du cultural washing : c’est engager un véritable changement culturel de l’entreprise avec davantage de confiance, d’autonomie sans forcément aller jusqu’à l’entreprise libérée. Aujourd’hui, 75 à 80% des collaborateurs se sentent désengagés de l’entreprise : c’est une manne à faire basculer dans un état de confiance pour la réussite du projet et le succès de l’entreprise. Surtout que les challenges ne manquent pas : les réseaux sociaux externes mais aussi les réseaux sociaux internes cassent les codes de communication interne dans l’entreprise. Il commence à apparaître des influenceurs internes, la prise de parole n’est plus la même et elle sort des canaux hiérarchiques traditionnels. Si on y ajoute le concept d’entreprise libérée qui fait parler de lui dans les media et peut se traduire entre autres par la suppression de strates hiérarchiques, ainsi que la remise en cause de l’autorité par les nouvelles générations, on se rend compte que l’approche pyramidale du management touche à sa fin et qu’un changement est plus que nécessaire pour retenir et engager les collaborateurs !
OSCI – Vous avez aussi parlé de process internes : les entreprises sont-elles mieux préparées sur ce sujet ?
O.L. - Les entreprises ont engagé depuis longtemps la digitalisation de leur process. Il faut aujourd’hui qu’elles amplifient leurs efforts pour améliorer leur excellence opérationnelle et atteindre les standards élevés d’un pure player comme Amazon. Les entreprises doivent également se mettre en capacité de tirer parti des leviers du big data et de l’intelligence artificielle. Surtout elles doivent retrouver l’agilité de leurs débuts, nécessaire dans ce monde où les technologies prolifèrent, où l’environnement est complexe et incertain et où les nouveaux entrants compromettent leurs parts de marché voire leurs business models.
OCSI – Est-ce qu’on connaît le potentiel réel de ce marché ?
O.L. Les courbes du Gartner montrent un énorme potentiel pour adresser les sujets de la transition numérique, qu’il s’agisse d’usages collaboratifs, de blockchain, de big data ou de cybersécurité. Il y a de plus des enjeux sociétaux avec l’intelligence artificielle et la place du collaborateur dans l’entreprise.
OCSI - Y a-t-il des secteurs ou des entreprises en particulier qui sont plus avancées sur ce sujet ?
O.L. - Comme je l’ai dit, l’avenir est complexe et incertain, le futur est difficile à prédire. Néanmoins il me semble que certaines grandes entreprises ont pris la mesure des enjeux et des stratégies à déployer même si rien ne dit que ce sera efficace. Ainsi des assureurs telles que la MAIF ou Macif s’intéressent fortement au collaboratif ou au communautaire.
Il y aussi beaucoup d’essais en cours autour de la santé connectée ou de la voiture connectée. Les assureurs se mettent en position de proposer de nouveaux services car avec le concept de voiture autonome, c’est jusqu’à 50 - 60% de leur chiffre d’affaires qui pourrait disparaître. Cela dit, Direct Assurance propose le « Pay how you drive » depuis 2 ans ½ mais il n’y a pas eu de big bang pour autant… La rencontre du marché peut prendre du temps.
On assiste aussi à des initiatives d’open innovation avec la création de connexions des entreprises avec les écosystèmes de la French Tech, les incubateurs ou les grandes écoles.
Si l’on évalue la maturité digitale des entreprises au regard des 3 axes d’une transformation globale, je dirais que la digitalisation de la relation client est bien engagée par les entreprises, celle des process a débuté et doit s’amplifier sur les leviers de l’agilité et de l’intelligence artificielle, enfin sur l’axe collaborateurs, la transformation culturelle reste à engager à quelques exceptions près.
OCSI – Au-delà de ces essais ou de ces POC, est-ce qu’il y a des productions concrètes ?
O.L. – Il est clair que les entreprises doivent faire la part des choses en pensant « usage first » et non « technology first » ! C’est en effet l’heure des comptes pour certaines technologies qui n’ont pas délivré toutes leurs promesses, le Big Data en tête. Beaucoup de technologies, et de budgets, ont été déployés mais les résultats ne sont pas toujours là. Il est donc plus qu’urgent d’avoir des applications concrètes. Sur la blockchain, certains POC rentrent en production. En Intelligence Artificielle, on a des use case assez concrets et des ROI très parlants à court terme, notamment autour des chatbots et du RPA (Robotic Processus Automation). Ce sont des applications très orientées métiers, donc des sujets très parlant pour les DG, et des projets pas très compliqués à mettre en place et dont les ROI se calculent beaucoup plus facilement.
Par exemple, il existe des use case de chatbot collaborateurs qui peuvent être très efficaces pour aider les collaborateurs au quotidien et ainsi augmenter leur efficacité pour rendre un meilleur service aux clients.
La cybersécurité est aussi un vrai sujet pour les entreprises, et qui sera très technique. Des use cases commencent à sortir, notamment sur les pertes potentielles ou sur les flottes mobiles qui pourraient être hackées par de simples mobiles.
OCSI – Tous ces constats, vous en parlez dans votre ouvrage, « Innover ou disparaître » …
O.L. - Oui précisément « Innover ou disparaître - le Lab pour remettre l’innovation au cœur de l’entreprise ». Suite à tous ces constats, je propose la méthode LISH (Lab Ideation Startup Humain) qui s’appuie sur quatre axes : le lab, l’idéation, les startup et l’humain.
Le Lab et les familles de lab existantes : du showroom/totem jusqu’aux FabLab pour mettre à disposition des capacités de production aux intrapreneurs. L’Idéation, qui est une ode à l’open innovation et la nécessité de s’ouvrir sur les collaborateurs et sur l’écosystème innovation externe (écoles, universités, startup, partenaires technologiques…). Les Startup dont il faut regarder le fonctionnement et s’en approprier les méthodologies afin d’innover dans l’action en commençant à utiliser leurs méthodes dans le lab pour être plus agile et être « time to market ». Enfin, l’Humain car dans cette ère digitale, il faut se réinventer pour survivre en promouvant de nouvelles valeurs et des nouveaux comportements. L’objectif est simple : impliquer tout le monde pour davantage de performance au global.